12.10.16

psychose schizophrénique














J'adresse ce post a tous ceux qui me demandent inlassablement comment je ressens notre installation dans ce nouveau monde, a l'architecture citadine si bien pensée et peuplé a 90% de citoyens du monde, dans un quartier résidentiel loin du centre des affaires.

Je lisais hier seulement la définition toute personnelle de l'acteur anglais Patrick McGoohan du mot 'artiste' : c'est une personne qui perçoit les choses différemment, plus intensément et qui ressent le besoin d'exprimer ses sensations au travers des moyens qui lui sont propres. J'aime cette representation d'un mode de fonctionnement qui me semble parfois douloureux car intense. Ce qui va suivre en est l'illustration. 

Ce ne sont pas quelques semaines passées dans un decors de cinema géant a ciel ouvert, me servant de nouveau bocal, qui font de moi une experte mais plus une observatrice fantaisiste qui s'interroge.
C'est une chose de traverser un pays, visiter ses centres culturels, arpenter ses rues, croiser ses habitants, apprivoiser sa cuisine, tricoter ses souvenirs au travers de cliches choisis et retravailles, c'en est une autre de se dire que l'on appartient a ce nouvel univers a la fois familier et totalement étranger.

Ce 'village', ou je reside, situé sur une ile de sable rose appellée 'l'ile du bonheur' est un endroit étrange, a l'architecture colorée walt disneyienne et habité par une communauté de villageois... invisibles. Ils circulent dans des voitures aux vitres tellement teintées qu'il est difficile d'imaginer qu'elles sont conduites par des humains. Ils y pénètrent ou en descendent à l'abris des regards dans leurs doubles ou triples garages privatifs. Qui sont-ils? Ont-ils seulement forme humaine? Je les identifie grace a des numéros, numéro d'immatriculation de leurs chars ou numéro gravé a l'entrée de leur villa, de leur rue. Il faut rappeler qu'à notre entrée nous avons été fichés, contrôlé, estampillés, enregistrés, classés...numérotés.

Plus le numero est élevé moins l'individu semble important dans la hiérarchie du village. J'ai eu le privilège d'échanger téléphoniquement avec numero 2, au sujet d'un different d'ordre trivial. Il occupe une situation privilégiée en face de l'école!  Sa fonction de numero 2 n'offre pas que des privilèges, il a aussi la lourde responsabilité de trois enfants. Il est secondé par un chauffeur (pour les transports a l'école qui, je le rappelle, se trouve en face de la dite 'beach villa'), et d'une aide qui prépare et vide les sacs de sport et les packs lunch. Elle n'a pas pu me dévoiler son identité ni même son visage par ailleurs. Les aidants ont des matricules imprononçables, parlent des langues comprises par eux seuls et par consequent ne peuvent entrer en communication avec nous, même si les plus malins feignent de vous comprendre.

Difficile de ne pas évoquer cette soirée ou, privée d'eau chaude, je sortais dans les rues désertes, mais jamais désertées, de mon village afin de tenter d'identifier si la panne était d'ordre général ou privative. Mon decor de cinema affichait une vue nocturne avec un ciel d'encre sans étoile mais illuminé par de grosses boules blanches en apesanteurs.  Je sonnais, mais sans succès, aux portes des maisons situées dans la 15eme rue, ma rue. Pas un son, seules de discrètes lumières filtrant a travers les rideaux soigneusement fermés m'indiquaient la présence probable de 'villageois' ou d'aidants. Il me fallut quatre tentatives infructueuses pour finalement tomber sur une âme rebelle, qui se décidait a m'ouvrir la porte de son jardin et à me confronter face a face. 
J'ai beau fréquenter assidument les bassins de la piscine commune du quartier 119, le notre, en dehors d'un aidant maitre nageur qui ne me quitte pas des yeux tout le temps de mes ablutions, pas un villageois ne fut jamais rencontré. Lundi, je tentais avec succès la salle de sport attenante a la piscine. Trois villageoises entrèrent, elles aussi afin de suer un peu, c'est si rare par ici. Heureuse de finalement pouvoir mettre des visages sur les numéros 709, 717 et 703* (nos noms, pardon, nos numéros sont minutieusement inscrits sur des registres à notre entrée dans les parties communes). J'affichais dans l'effort mon plus beau sourire et lancais un 'hello' qui fut royalement ignoré par trois fois. 

Ce petit village fleuri et manucuré aurait tout d'un coin de paradis si ses habitants n'étaient pas des numéros dont les faits et gestes semblent épiés et pour cette raison se terrent chez eux. Cette grande communauté, parait-il internationale, et sa connotation utopique semble obéir a des règles d'intérêt général. Pas plus tard qu'hier je recevais en même temps que mon ticket de caisse d'un supermarché pour lequel je ne ferai pas de publicité, deux vouchers. L'un m'offrait une consultation de chirurgie plastique gratuite, l'autre, 50% de réduction sur l'acte de chirurgie esthétique de mon choix. 
Je m'interroge... si l'heureux bénéficiaire de ces bons d'achat est ciblé par... la caissière, l'opérateur des cameras en caisse... sur quels critères basent ils leur choix?  
Il me faut tout le temps être sur mes gardes si je veux conserver les traits qui font de moi mon unicité. Une simple consultation de routine pour votre enfant chez un orthodontiste peut s'avérer fatale  si vous n'êtes pas solidement attaché au mas de votre navire et êtes sensibles aux chants des sirènes : les injections de botox, et plus si affinités, se consomment, et vous sont proposées a tout propos.

Uniformisation, quand tu nous tiens.

Vous l'aurez compris maintenant, je me trouve au quotidien et à mon insu sur le tournage de nouveaux épisodes de ma série culte des années soixante dix, 'The Prisoner'.  Il me semble être le seul prisonnier rebelle et opiniâtre au milieu de figurants dociles et robotisés non communicants. J'évolue dans des décors minutieusement conçus et des envers de décors peuplés de grues, d'échafaudages, de chantiers alimentant des constructions en devenir dans un paysage qui semble déserté par les individus de chair et d'os. 
Je provoque l'arrivée de l'énorme ballon qui intervient lors des tentatives d'évasion, de rebellion, pour étouffer les récalcitrants. Vous l'aurez déchiffré entre les lignes, cela est une réalité et non un mythe, il me faut mesurer mes propos écrits. Maitriser ma psychose schizophrénique de l'individu qui lutte contre le système tout en ne pouvant s'en échapper. 

J'espère que vous ne verrez dans ces écrits que le délire d'un être fantasque ayant besoin d'exorciser ses emotions et non le reportage en direct depuis une prison dorée!!!!

*les noms des protagonistes ont été changés afin de maintenir leur anonymat.